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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/218

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Toute la maison visitée, pour y choisir le logement qui lui paraîtrait le plus convenable, madame Hugo s’arrêta au rez-de-chaussée, dans une immense salle basse éclairée par une branche de pin brûlant dans une main de fer qui sortait de la muraille, fit tirer de l’immense portemanteau où il était renfermé le lit dans lequel elle couchait tous des soirs, réunit une douzaine de peaux de mouton pour le coucher des enfants, introduisit M. du Saillant dans un réduit attenant à la grande salle, et, la nuit venue, attendit les événements.

L’attente n’était pas gaie ; les événements promis étaient terribles. Depuis le commencement de la guerre, les Espagnols s’étaient fait une réputation de férocité qui, comme toutes les bonnes réputations, allait croissant ; ce qu’ils inventaient de tortures pour les malheureux Français tombant entre leurs mains, n’avait point de nom. Chez les peuples primitifs, et purement féroces, comme chez les Turcs, par exemple, où la vie se termine par trois supplices, la décollation, le lacet ou le pal, on est sûr de ce qui vous attend ; c’est le pal, le lacet ou la décollation ; l’imagination des bourreaux ne va pas au delà de ces trois genres de mort.

Mais, chez un peuple civilisé comme l’Espagne, qui a eu Charles-Quint, Philippe II et l’inquisition, c’est autre chose : il s’agit, pour le malheureux condamné à mort, d’être rôti à petit feu, scié entre deux planches, mis au chevalet, pendu par les pieds ; d’avoir les entrailles dévidées comme un écheveau de coton ; d’avoir le corps découpé en aiguillettes sur le modèle d’un pourpoint du xvie siècle ; d’avoir les yeux crevés, le nez, la langue ou les poings coupés ! Oh ! les bourreaux espagnols étaient pleins de fantaisie ! D’ailleurs, quand ils étaient à bout de caprices, ils avaient le répertoire de l’inquisition, et, qu’on ne l’oublie pas, les hommes qui nous faisaient la guerre étaient surtout des catholiques, des prêtres, des saints !

Malgré toutes ces pensées peu récréatives pour une mère qui répond à son mari d’elle-même et de ses trois enfants, madame Hugo commençait à s’endormir, enviant la tranquillité du colonel du Saillant, qui dormait, lui, depuis longtemps dans le réduit qu’on avait découvert attenant à cette salle basse,