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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/221

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

une heure ; je désire que, pour lui faire honneur, mes hommes se mettent en grande tenue ; ils sont obligés de changer de tout, depuis la cravate jusqu’aux guêtres. Dans ce changement, plus étendu encore que je ne vous le dis, il y aura des évolutions que peut braver l’œil d’un général ou d’un colonel, mais qui seraient moins convenables pour les regards d’une femme. Vous voilà avertie, madame ; je vais faire avertir la duchesse de Villa-Hermosa et les autres dames.

Et, avec sa politesse ordinaire, le duc de Cotadilla prit congé de madame Hugo, et donna ses ordres.

Madame Hugo tira ses stores.

Les ordres du duc de Cotadilla étaient que les soldats se missent à l’instant même en grande tenue pour faire là haie sur le passage de la reine.

Aussitôt, les hommes se placèrent sur une seule ligne tenant toute la route, formèrent les faisceaux, ouvrirent les sacs, et commencèrent leur toilette. Ils en étaient juste à l’endroit le plus délicat de cette toilette, à l’endroit précis pour lequel le duc de Cotadilla avait invité les dames à baisser les stores de leurs voitures, lorsqu’un immense nuage de poussière parut au sommet d’une montagne distante de cinq cents pas, et que les cris « La reine ! la reine ! » se firent entendre.

La reine était en avancé de plus d’une demi-heure sur l’heure indiquée par le courrier.

Il y avait là de quoi troubler une tête plus forte que ne l’était celle du duc de Cotadilla ; d’ailleurs, dans aucun livre de théorie le commandement à faire en pareil cas n’était prévu. Il garda donc le silence, et, réduits à leur propre inspiration, les tambours battirent aux champs, les soldats coururent aux armes, et les chefs inférieurs crièrent :

— À vos rangs !

Il en résulta que la reine d’Espagne passa une revue telle que jamais reine ni impératrice, fût-ce Marguerite de Bourgogne ou Catherine II, n’en avait passé, et, comme elle apprit plus tard que M. de Cotadilla avait été prévenu de son arrivée, rien ne put lui ôter de l’esprit cette idée, que la nudité de ces