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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/231

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

un le nombre de tous ces petits nobliaux, — il y en avait un qui n’était ni chevalier, ni baron, ni comte, ni marquis, ni duc, ni prince, et qui, cependant, n’était pas la figure la moins remarquable du collège.

C’était un jeune officier espagnol nommé Lillo, âgé de quinze ans, et fait prisonnier au siège de Badajoz.

Il s’était battu comme un démon, avait tué de sa main un grenadier français, et n’avait été pris qu’après une défense héroïque.

On allait le fusiller, quand, par hasard, le maréchal Soult était passé, s’était informé, avait appris de quoi il s’agissait, et l’avait expédié à Madrid en donnant l’ordre qu’on le mit au collège.

L’ordre avait été exécuté : Lillo était au collège ; seulement, il y était au double titre d’élève et de prisonnier.

Cet enfant, qui avait eu le grade de sous-lieutenant, qui avait commandé à des hommes, qui avait tenu la campagne en plein air et le harnois sur le dos, supportait mal cette discipline collégiale pleine de tracasseries jésuitiques, et à laquelle, moins le dortoir commun, où, cependant, chacun avait son alcôve, il était soumis comme les autres.

Aussi demeurait-il, autant que cela lui était permis, solitaire et enrageant au fond du cœur. Dans ses rapports avec les autres jeunes gens, il était froid, mélancolique et hautain.

Il va sans dire que les trois Français étaient l’objet de sa haine toute particulière, et qu’à chaque instant il avait maille à partir, lui soldat de Ferdinand VII, avec l’un des trois fils, et quelquefois même avec les trois fils du général de Joseph.

Un jour, devant Eugène, il appela Napoléon Napoladron ; il est vrai de dire que c’était le nom que presque toujours les Espagnols donnaient au vainqueur d’Austerlitz.

L’injure n’en fut pas moins sensible à Eugène, lequel riposta en lui disant que lui, Lillo, avait été pris entre les jambes des grenadiers français.

Lillo avait un compas à la main ; il ne chercha point d’autre arme, se jeta sur Eugène, et le frappa violemment à la joue.