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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/232

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

La blessure ou plutôt la déchirure avait un pouce et demi de long.

Eugène voulait se battre en duel, Lillo ne demandait pas mieux ; mais les professeurs intervinrent et séparèrent le jeune homme et l’enfant.

Le lendemain, Lillo disparut ; et ni Victor ni ses frères ne surent jamais ce qu’il était devenu.

J’entends encore Victor me dire de sa voix grave, le jour où il me raconta cette anecdote :

— Il avait raison, ce jeune homme : il défendait son pays… Mais les enfants ne savent pas cela !

On vivait claustralement au séminaire des Nobles ; pas un couvent de moines, en Espagne, n’avait peut-être une règle plus sévère. Une fois tous les quinze jours, on sortait pour aller en promenade ; et encore, la promenade était restreinte ; on ne pouvait même pas aller aux Délices, — supposez nos Champs-Élysées, — à cause des bandes de guérillas.

C’eût été une bonne prise, et qui eût coûté une belle rançon, que ces vingt ou vingt-cinq enfants appartenant, non-seulement aux premières familles de Madrid, mais encore à des familles ralliées au frère de Napoladron, comme disait Lillo.

Au reste, de temps en temps, au bruit d’une porte qui s’ouvrait, les enfants levaient la tête, et voyaient apparaître le xviie siècle au commencement du xixe.

Un jour, on était au réfectoire, on mangeait en silence, pendant que, dans Une chaire élevée au milieu d’une immense salle, un des sous-maîtres faisait une lecture pieuse en langue espagnole. Depuis plus d’un an, les quatre petits Benavente n’avaient pas vu leur mère.

Tout à coup, la porte s’ouvre à deux battants, comme pour un prince, un cardinal ou un grand d’Espagne.

C’était la princesse de Benavente.

Elle fit quelques pas dans la salle, et attendit.

Alors, ses quatre fils se levèrent, se placèrent selon leur âge, l’aîné le premier, le second après, et ainsi de suite, et, sans faire un pas plus vite que l’autre, s’avancèrent cérémo-