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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/238

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

notable, et, par ce retour presque inespéré, M. Katzenberger vit doubler, tripler, quadrupler sa fortune.

Son premier mouvement fut d’offrir au général Hugo une somme en proportion avec le service qu’il lui avait rendu.

Le premier et le dernier mouvement du général Hugo fut de refuser cette somme.

C’était, je crois, trois cent mille francs : un franc par mouton.

Consignons ici que le général Hugo, après avoir fait, dans une position supérieure, pendant quatre ans, la guerre en Espagne ; après avoir été chargé de soutenir la retraite de Madrid à Bayonne, position qui donne toujours à un général de grandes facilités pour s’enrichir, est mort sans galerie de tableaux, sans un seul Murillo, sans un seul, Velasquez, sans un seul Zurbaran, n’ayant d’autre fortune que sa pension de retraite.

C’est incroyable, n’est-ce pas ? Eh bien, c’est ainsi. Mais, me demanderont les directeurs du Musée, ou les amateurs millionnaires qui ont acheté des tableaux six cent mille, deux cent mille, cinquante mille et même vingt-cinq mille francs à la vente après décès de M. le maréchal Soult, que tira-t-il donc de son désintéressement vis-à-vis de M. Katzenberger ?

Il en tira un dîner annuel que lui donnait à Paris, à lui et à toute sa famille, au jour anniversaire de ce grand événement d’où datait sa fortune ; M. Katzenberger, qui venait de Strasbourg tout exprès pour cela.

Il est vrai que le dîner était gigantesque, et devait coûter au moins cinquante louis au Strasbourgeois reconnaissant.

Pendant l’hiver de 1812 et les premiers mois de 1813, les choses commencèrent, en contre-coup de nos affaires de Russie, à s’embrouiller tellement en Espagne, que le général Hugo comprit qu’il y avait danger à garder à Madrid sa femme et ses enfants.

En conséquence, madame Hugo et ses deux plus jeunes fils, sous la protection d’un convoi non moins vigoureusement escorté que celui dont nous avons raconté la marche, effec-