Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
246
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

noyée avec son mari, dans un beau jour, par un caprice du vent ; — cruelle épreuve du destin peut-être, qui tenait à connaître la trempe de ce cœur de père, dont il savait avoir besoin au jour des tempêtes civiles qui se préparaient.

Toutes ces odes portaient l’empreinte de l’opinion royaliste.

C’est que le jeune homme, à peine sorti de l’enfance, était le fils de sa mère vendéenne, de cette sainte femme qui, dans la guerre civile de 1793, avait sauvé dix-neuf prêtres. 

Les amis du général Hugo, qui ; sans faire d’opposition ouverte, appartenait à ce qu’on appelait, à cette époque, l’opinion libérale, s’inquiétaient parfois de ces tendances ultra-monarchiques ; mais le général secouait la tête et leur répondait en souriant :

— Laissons faire le temps ; l’enfant a les opinions de sa mère ; l’homme aura les opinions de son père.

Veut-on voir comment le poëte raconte lui-même cette promesse faite par son père, non-seulement à un ami, mais à la France, mais à l’avenir, mais au monde :

« Décembre 1820.

» Le tout jeune homme qui s’éveille de nos jours aux idées politiques est dans une perplexité étrange : en général, nos pères sont bonapartistes, et nos mères sont royalistes.

» Nos pères ne voient dans Napoléon que l’homme qui leur donnait des épaulettes ; nos mères ne voient dans Bonaparte que l’homme qui leur prenait leurs fils. 

» Pour nos pères, la Révolution, c’est la plus grande chose qu’ait pu faire le génie d’une assemblée ; l’Empire, c’est la plus grande chose qu’ait pu faire le génie d’un homme. 

» Pour nos mères, la Révolution, c’est une guillotine ; l’Empire, c’est un sabre.

» Nous autres enfants nés sous le Consulat, nous avons tous grandi sur les genoux de nos mères ; — nos pères étaient au camp ; — et bien souvent, privées, par la fantaisie conquérante d’un homme, de leur mari, de leur frère, elles ont fixé sur nous, frais écoliers de huit ou dix ans, leurs doux