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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/251

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

En 1822, la conspiration de Berton éclate ; tous les yeux se tournent du côté de Saumur.

Au nombre des conjurés était — outre Berton, qui est mort si bravement ; outre Cafe, qui s’ouvrit les veines, comme un héros antique, avec un morceau de vitre brisée, — un jeune homme nommé Delon.

Ce jeune homme, que j’avais entrevu chez M. Deviolaine, avec lequel sa famille était liée, avait plus d’une fois porté le petit Victor sur son épaule, ou fait sauter le futur poëte sur ses genoux.

C’était le fils d’un ancien officier qui avait servi sous les ordres du général Hugo.

Dans le fameux procès des chauffeurs, cet officier avait été capitaine rapporteur ; dans le procès non moins fameux de Malet, il avait été chef de bataillon rapporteur ; et, dans l’un et l’autre procès, sans faire de distinction entre les coupables, il avait réclamé la peine de mort.

Le général la Horie, ce parrain de Victor dont nous avons parlé, avait donc été fusillé sur le rapport de Delon.

Chose étrange, c’était le fils de cet homme qui avait réclamé la mort contre les autres pour cause de conspiration, que la mort poursuivait pour la même cause !

Depuis le jour où le chef de bataillon Delon, au lieu de se récuser, avait porté la parole contre le général la Horie, il y avait eu rupture entière entre la famille Hugo et la famille Delon.

Mais, s’il y avait eu rupture entre les cœurs des pères, il n’y avait pas eu rupture entre les cœurs des enfants.

Victor demeurait, alors, rue de Méziéres, n° 10.

Il lut, un matin, dans le journal, cette terrible histoire de la conspiration de Saumur.

Tous les complices étaient arrêtés ou à peu près, à l’exception de Delon, qui était en fuite.

Aussitôt, ses souvenirs d’enfant, si puissants, si indestructibles, reviennent à la pensée du poëte ; il prend plume, papier et encre, et, oubliant la haine de la famille et la différence d’opinion, il écrit à madame Delon, à Saint-Denis :