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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/28

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je lui avouai que mon œuvre était terminée, et je lui demandai hardiment une lettre pour le Théâtre-Français. Oudard me refusa, sous le prétexte qu’il n’y connaissait personne.

J’eus beau lui dire que sa recommandation comme chef du secrétariat de M. le duc d’Orléans serait toute-puissante.

Il me répondit, à l’instar de madame Méchin, qui ne voulait pas mettre son argent à des canons de calibre :

— Je ne mettrai point mon influence à cela !

J’avais vu quelquefois venir dans les bureaux du secrétariat un homme à épais sourcils et à long nez, qui prenait du tabac comme un Suisse. Cet homme apportait périodiquement les quatre-vingt-dix billets de toutes places que M. Oudard avait le droit de distribuer chaque mois, à raison de trois par jour. J’ignorais ce qu’était cet homme ; je demandai qu’on me recommandât à lui.

On me répondit que c’était le souffleur.

J’attendis ce souffleur, je le surpris au passage, et je le priai de me dire comment on arrivait à l’insigne honneur de lire devant le comité du Théâtre-Français.

Il me répondit qu’il fallait déposer ma pièce chez l’examinateur ; mais il ajouta qu’il y en avait tant de déposées avant la mienne, que, le moins que j’aurais à attendre, ce serait un an !

On sait si je pouvais attendre un an !

— Mais, lui demandai-je, n’y a-t-il pas moyen d’abréger toutes ces formalités ?

— Ah dame ! sans doute, me répondit-il, si vous connaissez M. le baron Taylor.

Je le remerciai.

— Il n’y a pas de quoi, me dit-il.

Et il avait raison, il n’y avait pas de quoi, car je ne connaissais nullement M. le baron Taylor.

— Connaissez-vous le baron Taylor ? demandai-je à Lassagne.

— Non, me répondit-il ; mais Charles Nodier est son ami intime.