Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

m’avait pas répondu ; je sonnai une seconde fois, aussi doucement que la première ; on ne me répondit point encore.

Et, cependant, en prêtant l’oreille, il me semblait entendre un bruit annonçant qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire dans l’appartement : c’étaient des sons confus et glapissants qui tantôt avaient l’air d’accès de colère, et tantôt, retombant dans le mat, formaient la basse d’une musique monotone et continue. Je ne pouvais deviner ce que cela voulait dire ; je craignais de déranger Taylor en ce moment, et néanmoins c’était bien l’heure fixée par lui pour le rendez-vous. — Je sonnai plus fort. — J’entendis qu’on ouvrait une porte ; en même temps, ce bruit intérieur et inconnu qui m’intriguait si singulièrement depuis dix minutes m’arriva plus mugissant que jamais. Enfin, la porte s’ouvrit, et une vieille bonne parut.

— Ah ! monsieur, me dit-elle d’un air consterné, vous rendez un fier service à M. le baron, en arrivant. Il vous désire bien, allez !

— Comment cela ?

— Entrez, entrez !… ne perdez pas une minute !

Je me précipitai dans le salon, et trouvai Taylor pris dans sa baignoire, comme un tigre dans une fosse, et ayant près de lui un monsieur qui lui lisait une tragédie d’Hécube.

Ce monsieur avait forcé la porte, quelque chose qu’on eût pu lui dire. Il avait surpris Taylor comme Charlotte Corday avait surpris Marat, et le poignardait dans le bain ; seulement, l’agonie du commissaire du roi était plus longue que ne l’avait été celle du tribun du peuple. La tragédie avait deux mille quatre cents vers !

Lorsque le monsieur m’aperçut, il comprit qu’on venait lui arracher sa victime ; il se cramponnai la baignoire en criant :

— Il n’y a plus que deux actes, monsieur ! il n’y a plus que deux actes !

— Deux coups d’épée ! deux-coups de couteau ! deux coups de poignard ! choisissez, parmi les armes qui sont ici, — et il y en a de toutes les espèces, — choisissez celle qui coupe le mieux, et égorgez-moi tout de suite !

— Monsieur, répondait l’auteur d’Hécube, le gouvernement