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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/310

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Son frère Paul, qu’on appelait le petit Popol, était bien le plus drôle de corps qui eût jamais existé : une tête charmante avec de beaux yeux noirs, et de longs cheveux châtains, avait grossi sur un corps trop petit pour elle. Cette disproportion donnait à l’aspect de l’enfant quelque chose de grotesque ; il avait énormément d’esprit, était gourmand comme Grimod de la Reynière ; et, tout au contraire de Tom, fut resté toute sa vie en scène, pourvu qu’il y eût eu quelque chose à manger.

À l’époque où je l’ai connu, ce n’était encore qu’un marmot de six ou sept ans, et déjà il avait trouvé moyen, sous toute sorte de prétextes plus ingénieux les uns que les autres, de se faire ouvrir un crédit au café qui fait le coin de la rue de Vaugirard et de la rue Molière. Un beau jour, il se trouva que le compte du jeune Popol montait à une centaine d’écus ! En trois mois, il avait absorbé pour trois cents francs de bavaroises et de riz au lait qu’il venait chercher au nom de sa mère, ou au nom de sa tante, et qu’il buvait ou mangeait dans les escaliers, dans les corridors ou derrière les portes.

C’était lui qui, dans Richard Darlington, placé en perspective, de manière à paraître de la grandeur d’un homme ordinaire, représentait le président ; il avait à sa droite une sonnette, à sa gauche un verre d’eau sucrée ; il agitait la sonnette avec la gravité de M. Dupin, et buvait le verre d’eau sucrée avec la dignité de M. Barrot.

Le petit gueux n’avait jamais voulu apprendre une seule prière, ce qui faisait beaucoup rire le voltairien Harel ; quand, tout à coup, à l’époque du choléra, on s’aperçut que le jeune Popol disait, matin et soir, une oraison qu’il avait, sans doute, improvisée pour la circonstance.

On fut curieux de savoir ce que pouvait être cette oraison ; on se cacha, on écouta, et l’on entendit. On entendit la prière suivante :

« Seigneur, mon Dieu ! prenez ma tante Georges ; prenez mon oncle Harel ; prenez mon frère Tom ; prenez maman Bébelle  ; prenez mon ami Provost, et laissez le petit Popol et la cuisinière ! » .

La prière ne porta pas bonheur au pauvre petit, si fervente