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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/311

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

qu’elle fût : le choléra le prit, et l’emporta, lui quinze centième, dans la même journée.

Nous avons dit ce qu’était le frère Tom ; nous avons tous vu jouer maman Bébelle sous le nom de Georges cadette ; disons, maintenant, quelques mots de la tante Georges, la plus belle femme de son temps, et de l’oncle Harel, l’homme le plus spirituel de son époque.

La tante Georges était, alors, une admirable créature âgée de quarante et un ans, à peu près. Nous avons déjà donné son portrait, écrit ou plutôt dessiné par la plume savante de Théophile Gautier. Elle avait surtout la main, le bras, les épaules, le cou, les yeux d’une richesse et d’une magnificence inouïes ; mais, comme la belle fée Mélusine, elle sentait, dans sa démarche, une certaine gêne à laquelle ajoutaient encore — je ne sais pourquoi, car Georges avait le pied digne de la main — des robes d’une longueur exagérée. À part les choses de théâtre, pour lesquelles elle était toujours prête, Georges était d’une paresse incroyable. Grande, majestueuse, connaissant sa beauté, qui avait eu pour admirateurs deux empereurs et trois ou quatre rois, Georges aimait à rester couchée sur un grand canapé, l’hiver dans des robes de velours, dans des vitchouras de fourrures, dans des cachemires de l’Inde ; et l’été dans des peignoirs de batiste ou de mousseline. Ainsi étendue dans une pose toujours nonchalante et gracieuse, Georges recevait la visite des étrangers, tantôt avec la majesté d’une matrone romaine, tantôt avec le sourire d’une courtisane grecque ; tandis que des plis de sa robe, des ouvertures de ses châles, des entre-bâillements de ses peignoirs, sortaient, pareilles à des cous de serpent, les têtes de deux ou trois lévriers de la plus belle race.

Georges était d’une propreté proverbiale ; elle faisait une première toilette avant d’entrer au bain, afin de ne point salir l’eau dans laquelle elle allait rester une heure ; là, elle recevait ses familiers, rattachant de temps en temps, avec des épingles d’or, ses cheveux qui se dénouaient, et qui lui donnaient, en se dénouant, l’occasion de sortir entièrement