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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/38

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Mais il me semble qu’au lieu de préjuger, il serait plus juste d’attendre.

— Ah ! oui, attendre dix ans, vingt ans ! J’espère bien que je serai crevé avant que ta pièce soit jouée : cela fait que je ne la verrai pas.

En ce moment, Féresse ouvrit traîtreusement la porte.

— Pardon, monsieur Deviolaine, dit-il, mais c’est un comédien — il appuya sur ce mot — qui demande M. Dumas.

— Un comédien ! quel comédien ? demanda M. Deviolaine.

— M. Firmin, de la Comédie-Française.

— Oui, répondis-je tranquillement, il joue Monaldeschi.

— Firmin joue dans ta pièce ?

— Le rôle de Monaldeschi, oui… Oh ! c’est très-bien distribué : Firmin joue Monaldeschi ; mademoiselle Mars, Christine…

— Mademoiselle Mars joue dans ta pièce ?

— Sans doute.

— Ce n’est pas vrai.

— Voulez-vous que je vous le fasse dire par elle-même ?

— Tu crois que je vais me déranger pour m’assurer que tu mens ?

— Non, elle viendra ici.

— Mademoiselle Mars viendra ici ?

— Elle aura cette complaisance pour moi, j’en suis sûr.

— Mademoiselle Mars ?

— Dame ! vous voyez que Firmin…

— Tiens, fiche-moi le camp ! car, ma parole d’honneur, tu me fais tourner la tête !… Mademoiselle Mars !… mademoiselle Mars, se déranger pour toi ? Allons donc !… mademoiselle Mars !

Et il leva les bras au ciel comme un homme désespéré qu’une pareille folie eût pu entrer dans la tête d’un membre de sa famille.

Je profitai de ce geste dramatique pour m’esquiver.

Firmin m’attendait effectivement. Il avait employé le temps à faire un examen des localités, et à s’assurer que les fenêtres de mon bureau donnaient justement sur les fenêtres de la Comédie-Française ; ce qui offrait de grandes facilités pour mes futures communications.