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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/39

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Il venait, pour ne pas perdre un temps inutile, m’offrir de me conduire chez Picard, qui lirait mon manuscrit. Picard étant investi de toute la confiance de la Comédie-Française, la Comédie-Française s’en rapporterait à ce qu’il dirait.

J’avais une profonde répugnance pour Picard. Picard, à mon avis, avait autant rapetissé la comédie que Scribe avait grandi le vaudeville. Il était impossible que Picard comprit Christine, ni comme forme, ni comme fond. Je me débattis donc autant que je le pus contre cet arbitrage de Picard.

Mais Firmin connaissait si bien Picard, mais Picard aimait tant les jeunes gens, mais Picard était de si bon conseil, que, pour ne pas, à mon début, contrarier Firmin, je me laissai aller.

Il fut convenu que, le soir, à quatre heures et demie, Firmin me reviendrait prendre, et que nous irions chez Picard.

À quatre heures et demie, nous partions. Christine était proprement recopiée. Moi qui avais mis du soin pour les pièces de Théaulon, qu’on se figure si je m’étais appliqué pour la mienne !

Le manuscrit était roulé et noué avec un joli ruban tout neuf que ma mère m’avait donné.

Où demeurait Picard ? Ma foi, je n’en sais plus rien, et ne veux pas perdre de temps à chercher son adresse. Quelque part qu’il demeurât, nous arrivâmes chez lui.

Sa vue correspondait à merveille à l’idée que je m’étais faite de lui : c’était un petit bossu à longues mains, ayant de petits yeux brillants, et un nez pointu comme celui d’une fouine.

Il nous reçut avec cette politesse railleuse qui lui était particulière, et que beaucoup prenaient pour une spirituelle bonhomie. Nous causâmes dix minutes ; il fit semblant d’ignorer parfaitement la nouvelle qu’il savait depuis le matin ; nous lui exposâmes le motif de notre visite, il nous invita à lui laisser le manuscrit, et à revenir huit jours après.

Il nous dirait son humble avis sur cette importante affaire, nous priant d’avance de l’excuser si les petites comédies clas-