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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/40

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

siques lui avaient rapetissé le jugement à l’endroit des grandes machines romantiques.

Cet exorde ne présageait rien de bon.

Nous revînmes huit jours après. Picard nous attendait ; nous le retrouvâmes assis dans le même fauteuil, avec le même sourire sur les lèvres.

Il nous fit asseoir, s’informa poliment de notre santé ; et, allongeant ensuite ses longs doigts sur son bureau, il en enveloppa mon manuscrit, soigneusement roulé et ficelé par lui.

Puis, avec un charmant sourire :

— Mon cher monsieur, me dit-il, avez-vous quelques moyens d’existence ?

— Monsieur, répondis-je, je suis commis à quinze cents francs chez M. le duc d’Orléans.

— Eh bien, si j’ai un conseil à vous donner, allez à votre bureau, mon cher enfant, allez à votre bureau !

Après une semblable déclaration, la conversation ne pouvait être bien longue. Nous nous levâmes, Firmin et moi, nous saluâmes et nous sortîmes.

C’est-à-dire que je sortis ; Firmin resta un instant après moi : il voulait avoir un avis plus détaillé sans doute.

À travers la porte entre-bâiliée, j’aperçus Picard qui haussait les épaules avec une telle énergie, que la tête semblait lui sortir de la poitrine.

Le moderne Molière était fort laid ainsi ! sa figure surtout avait une expression de méchanceté remarquable.

Était-ce bien un avis consciencieux que Picard nous avait donné ? Firmin en fut convaincu ; j’en doutai toujours. Il était impossible qu’un homme d’esprit, si étroit que fût cet esprit, ne vit point, je ne dirai pas même une œuvre remarquable dans Christine, mais des œuvres remarquables au delà de Christine.

Le lendemain, j’allai chez Taylor. Je lui portais le manuscrit avec les annotations de Picard. Ces annotations consistaient dans des croix, dans des accolades, dans des points d’exclamation qu’on pouvait appeler des points de stupéfaction. Certains