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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/42

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Était-ce la pièce, qui était impossible ? Était-ce seulement le vers ?

Picard avait eu la délicatesse de me laisser dans le doute.

Je racontai l’aventure à Taylor, et lui montrai les notes de Picard.

— C’est bien, me dit-il, laissez-moi la pièce, et revenez demain matin.

Je lui laissai la pièce, assez contrit d’ailleurs. Je commençais à apprendre, à mes dépens, qu’au théâtre, tout au contraire de la nature, les joies sont pour l’enfantement, et qu’après l’enfantement, commencent immédiatement les douleurs.

Je n’avais garde de manquer au rendez-vous de Taylor, à huit heures du matin, j’étais chez lui.

Il me montra mon manuscrit. Nodier avait écrit dessus, de sa main :

« Je déclare sur mon âme et conscience que Christine est une des œuvres les plus remarquables que j’aie lues depuis vingt ans. »

— Vous comprenez, me dit Taylor, j’avais besoin de cela pour marcher dans ma force. Vous relirez samedi, tenez-vous prêt.

— Monsieur le baron, lui dis-je, j’ai un bureau ; à ce bureau, l’on est d’autant plus sévère pour moi que je fais de la littérature, ce qui, en matière de bureaucratie, est un crime impardonnable. Pourrais-je lire dimanche, au lieu de dire samedi ?

— C’est contre toutes des habitudes, mais j’essayerai.

Trois jours après, je reçus mon bulletin pour le dimanche suivant.

L’assemblée était encore plus nombreuse que la première fois, et la pièce fut encore plus acclamée, s’il était possible, qu’elle ne l’avait été à la lecture précédente.

On alla aux voix.

La pièce était reçue à l’unanimité, sauf quelques corrections dont j’aurais à m’entendre avec M. Samson.