Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Et un reflet de jeunesse doux comme un rayon de soleil passa sur le visage du beau vieillard, rajeuni de quarante ans.

Hélas ! je n’entrai que deux fois dans ce tabernacle de la science ; j’ai dit ce qui s’y passa la première ; je dirai tout à l’heure ce qui s’y passa la seconde.

Mais, auparavant, je dois répondre à une question : comment, sans une immense fortune, M. Villenave avait-il pu réunir de pareils trésors ?

Avec patience et longueur de temps, comme dit la Fontaine.

Cette collection, c’était le travail de toute sa vie.

De même que Ghiberti s’inclina jeune sur les portes du baptistère de Florence et s’en releva vieux, de même M. Villenave avait consacré cinquante ans à cette œuvre.

D’abord, jamais M. Villenave n’avait brûlé un papier ni déchiré une lettre.

J’avais écrit deux ou trois fois à M. Villenave pour lui demander des renseignements ; eh bien, mes chiffons d’épître avaient leur chemise, ils étaient classés et étiquetés. D’où me venait cet honneur ? Qui sait ? Ne pouvais-je pas, moi aussi, devenir un grand homme ?

Or, s’il avait gardé mes lettres, à moi, jugez de sa religion en pareille matière !

Convocations aux sociétés savantes, invitations aux messes de mariage, billets d’enterrement, il avait tout gardé, tout classé, tout mis à sa place. Je ne sais quelle chose n’avait pas sa collection chez M. Villenave ; j’y ai vu une collection des volumes à moitié brûlés qui, le 14 juillet, avaient été arrachés au feu de la Bastille.

M. Villenave avait deux aides de camp ou plutôt deux limiers : l’un s’appelait Fontaine, et était lui-même auteur d’un livre intitulé Manuel des Autographes ; l’autre était un employé au ministère de la guerre. Deux fois par semaine, il y avait chasse ; on fouillait les boutiques des épiciers, qui, habitués à ces visites, mettaient de côté tous les papiers qu’ils croyaient rares et curieux.