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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/89

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Hélas ! pauvre mère ! on eût dit que je prévoyais qu’elle n’assisterait pas à la représentation !

L’effet de la lecture fut immense sur tout le monde. Quoique l’esprit de Béranger soit médiocrement appréciateur de la forme dramatique, il se sentit pris comme les autres au troisième et au cinquième acte, et n’hésita point à me prédire un grand succès.

À partir de cette soirée a daté pour moi, de la part de Béranger, une amitié qui ne s’est jamais démentie.

Cette amitié fut plus d’une fois railleuse, amère même dans son expression ; car Béranger est loin d’être le bonhomme que l’on croit : il a trop d’esprit pour être bonhomme ; mais cette amitié fut toujours sincère et prête à se traduire par des faits et par des preuves.

L’effet, comme je l’ai dit, avait été grand pour tout le monde ; mais il avait surtout porté sur les cinq comédiens qui se trouvaient là : Firmin, Michelot, Samson, mademoiselle Mars et mademoiselle Leverd. Il fut décidé que, dès le surlendemain, jour de comité, on demanderait une lecture extraordinaire, et qu’en s’appuyant de la promesse qui m’avait été faite à propos de Christine, on obtiendrait un tour de faveur ; ce qui permettrait à la pièce d’être jouée immédiatement.

La pièce fut lue le 17 septembre 1828, et reçue par acclamation.

Après la lecture, on m’appela dans le cabinet du directeur, vacant faute de directeur.

J’y trouvai Taylor, mademoiselle Mars, Michelot et Firmin.

Mademoiselle Mars aborda la question avec sa franchise, j’allais presque dire avec sa brutalité ordinaire.

Il s’agissait de ne pas se laisser rouler pour Henri III, comme je l’avais été pour Christine ; il fallait arrêter, séance tenante, la distribution, la signer, et, tandis que le comité était encore tout chaud d’enthousiasme, obtenir de l’administration la mise en scène immédiate.

D’ailleurs, Taylor, mon protecteur acharné, allait quitter le théâtre et partir pour l’Orient ; il avait tenu parole à l’auteur