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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/151

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

du matin au musée d’artillerie, m’avait enlevé ma première émotion.

D’ailleurs, je dois dire que ma place était bonne, et qu’il fallait un bien grand hasard ou un bien joli tireur, pour qu’une balle vint me chercher derrière mon lion.

J’assistai donc avec beaucoup de sang-froid à la scène qui allait se passer et que je vais essayer de décrire.

La plupart des hommes qui composaient le rassemblement au milieu duquel je me trouvais étaient des gens du peuple.

Les autres étaient des commis de magasin, des étudiants et des gamins.

Sur les cent ou cent vingt combattants, à peine deux habits de garde nationaux attiraient-ils les regards à eux.

Les hommes du peuple, les commis de magasin et les étudiants étaient armés de fusils de munition ou de chasse ; les fusils de chasse étaient dans la proportion d’un à quinze.

Les gamins n’étaient armés que de pistolets, de sabres ou d’épées ; un des plus ardents n’avait qu’une baïonnette.

En général, c’étaient les gamins qui marchaient en tête, les premiers à tout. Était-ce mépris ou ignorance du danger ? Non, c’était l’influence de ce sang jeune et chaud qui, jusqu’à dix-huit ans, bat dans les veines de l’homme de soixante et quinze à quatre-vingt-cinq fois à la minute ; puis qui se calme peu à peu, et qui, en se calmant, dépose au fond du cœur, à chaque pulsation qui s’y éteint, soit un vice honteux, soit une mauvaise pensée.

Tant que passa le régiment de cuirassiers, la fusillade, très-active de notre côté, — sans grands résultats, il faut le dire, — fut molle du côté des troupes royales.

Elles étaient gênées par cette ligne de cavaliers qui passait entre elle et nous.

Mais la grille du second jardin dépassée par le dernier cuirassier, la véritable musique commença.

Il faisait une chaleur insupportable et sans le moindre souffle d’air. La fumée des fusils des Suisses ne s’élevait que lentement. Bientôt tout le Louvre fut enveloppé d’une ceinture de fumée qui déroba les troupes royales à nos yeux