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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/156

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Ah ! monsieur, me dit-il, que c’est beau ! Je n’avais pas vu toutes les petites bêtises qu’il y a là-dessus.

Les bêtises qu’il y avait sur l’armure de François Ier, c’étaient les batailles d’Alexandre.

Je rentrais pour changer de chemise, — pardon du détail, on verra plus tard qu’il n’est pas sans importance, — et aussi pour renouveler ma provision de poudre et de balles.

Mais je n’avais pas eu le temps de mettre ma veste bas, que j’entendis de grands cris dans la rue.

C’était Charras et sa troupe qui revenaient de la caserne de la rue de Babylone. Il y avait eu là une tuerie effroyable : après une demi-heure de siège, on avait été obligé de mettre le feu à la caserne pour en déloger les Suisses.

On portait au bout des baïonnettes les habits rouges des vaincus en signe de victoire. Charras, — il doit s’en souvenir encore aujourd’hui, car lui n’est pas de ceux qui ont oublié, — Charras avait, au lieu de cocarde, la manche de l’habit d’un Suisse, laquelle, attachée au haut de son chapeau à trois cornes, retombait coquettement sur son épaule.

Tout cela, tambour en tête, marchait sur les Tuileries.

Au même instant, les cris redoublèrent venant du château. Je tournai les yeux du côté d’où partaient ces cris, et, de ma fenêtre donnant sur la rue du Bac, je vis des milliers de lettres et de papiers qui voltigeaient dans le jardin des Tuileries.

On eût dit qu’on donnait la volée à tous les pigeons ramiers du jardin.

C’étaient les correspondances de Napoléon, de Louis XVIII, de Charles X, qui s’en allaient au vent.

Les Tuileries étaient emportées.

Quoique je ne fusse pas Crillon, il me prit une certaine envie de me pendre.

On comprend qu’un homme qui a envie de se pendre ne songe plus à changer de chemise.

Je remis ma veste et me précipitai par les escaliers.

Je rejoignis la queue de la colonne au moment où elle entrait aux Tuileries par le guichet du bord de l’eau.