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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/29

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tion, sur la cheminée, et, sans réveiller personne, ils s’en allèrent, ces deux rivaux, bras dessus, bras dessous, comme deux frères !

Te rappelles-tu cela, Hugo ?

Vous rappelez-vous cela, de Vigny ?

Nous fûmes tirés de notre léthargie, le lendemain matin, par le libraire Barba, qui venait m’offrir douze mille francs du manuscrit de Christine, c’est-à-dire le double de ce que j’avais vendu Henri III.

Décidément, c’était un succès !


CXXXVIII


Un fiacre qui passe. — Madame Dorval dans l’Incendiaire. — Deux artistes. — Le duc d’Orléans demande pour moi la croix d’honneur. — Sa recommandation reste sans effet. — M. Empis. — Le salon de madame Lafond. — Mon costume d’Arnaute. — Madame Malibran. — Frères et sœurs en art.

Le lendemain de la première représentation, ou plutôt le soir de la seconde, à une heure du matin, je traversais la place de l’Odéon, passant de la lumière de la salle à l’obscurité de la rue, du bruit des applaudissements d’une salle comble au silence d’un carrefour vide, de l’enivrement à la réflexion, de la réalité au rêve, lorsqu’une tête de femme sortit de la portière d’un fiacre en criant mon nom.

Je me retournai ; le fiacre s’arrêta ; j’ouvris la portière.

— C’est vous qui êtes M. Dumas ? me dit la personne qui était dans le fiacre.

— Oui, madame,

— Eh bien, montez ici, et embrassez-moi… Ah ! vous avez un fier talent, et vous faites un peu bien les femmes !

Je me mis à rire, et j’embrassai celle qui me parlait ainsi.

Celle qui me parlait ainsi, c’était Dorval ; Dorval, à qui j’aurais pu renvoyer ses propres paroles : « Vous avez un fier talent, et vous faites un peu bien les femmes ! »