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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/30

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

C’est que, depuis le jour où nous lui avons vu jouer Malvina, du Vampire, Dorval, de son côté, avait énormément grandi.

C’était dans l’Incendiaire, surtout, qu’elle avait été magnifique.

Celui ou celle qui lit ces lignes ne sait probablement pas aujourd’hui ce que c’est que l’Incendiaire ; je ne me rappelle moi-même qu’un rôle de prêtre très-bien joué par Bocage, et une scène de confession où Dorval était sublime.

Figurez-vous une jeune fille à laquelle on a mis une torche à la main comment ? par quel moyen ? je ne m’en souviens plus ; peu importe, d’ailleurs ! il y a vingt-deux ou vingt-trois ans de cela : j’ai oublié le drame, et, je le répète, je ne vois plus que l’artiste. — Elle jouait à genoux cette scène de confession dont je parle et qui durait un quart d’heure ; pendant ce quart d’heure, on ne respirait pas, ou l’on ne respirait qu’en pleurant.

Un soir, madame Dorval fut plus belle, plus tendre, plus pathétique qu’elle n’avait jamais été.

Pourquoi cela ? Je vais vous le dire.

Vous avez vu des Ruysdaël et des Hobbéma, n’est-ce pas ? vous vous souvenez comment parfois un rayon de soleil s’égare dans leurs paysages, fait lumineux un coin de ciel gris, fait transparente cette atmosphère brumeuse où de grands bœufs pâturent dans de hautes herbes ? Eh bien, écoutez ceci : quand l’artiste est fatigué, qu’il a joué dix fois, vingt fois, cinquante fois de suite le même rôle, peu à peu l’inspiration s’éteint, le génie s’endort, l’émotion s’émousse ; le ciel de l’acteur devient gris, son atmosphère brumeuse ; il cherche ce rayon de soleil qui réveille la toile d’Hobbéma ou de Ruysdaël. Ce rayon de soleil, c’est un spectateur ami, un artiste de talent accoudé au balcon ; c’est quelque tête pensive dont les yeux brillent dans la pénombre d’une loge. Alors, la communication s’établit entre la salle et le théâtre, la commotion électrique se fait sentir, et, grâce à elle, l’acteur ou l’actrice remonte aux jours des premières représentations ; toutes ces cordes qui se sont en-