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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/293

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NOTES

était dans le même esprit que le régiment, qui se trouvait alors à Paris ; il ne pouvait compter sur elle pour défendre la poudre confiée à sa garde. Une certaine agitation se faisait remarquer dans la ville ; on savait la lutte engagée à Paris ; la garde nationale s’organisait ; les communications étaient interceptées : il ne fut pas même possible d’envoyer une ordonnance à Laon pour prendre les ordres de M. le général Sérant. Dans cette situation critique, mon père se rendit le soir chez M. de Senneville, sous-préfet à Soissons, et il fut arrêté entre eux que les poudres seraient remises à la garde nationale, si elle les demandait, et même en cas d’attaque.

» Il restait à maintenir la tranquillité dans la ville ; elle fut maintenue, et la révolte des prisonniers, qui avait inspiré un moment de graves inquiétudes, fut comprimée par l’énergie de mon père.

» Le vicomte de Liniers savait donc bien ce qu’il avait à faire ; son plan avait été arrêté à l’avance, et M. Dumas, qui n’avait pas encore paru, ne lui dicta en aucune façon la conduite qu’il avait à tenir.

» Le lendemain matin, M. Dumas se présenta dans le bureau de mon père, qui s’y trouvait avec son secrétaire, ma mère, et moi. Il demanda que les poudres lui fussent livrées, et présenta à cet effet un ordre signé par le général Gérard. Mon père refusa. En ce moment parut un planton porteur d’un rapport de service ; M. Dumas, alors, et à l’instant où le soldat se retournait pour se retirer, sortit un pistolet de sa poche, et lui dit : « Si tu me fais arrêter, voilà pour ton commandant ! » Mon père reprend alors avec calme : « Vous pouvez m’assassiner ; car, vous le voyez, je suis sans armes. — Prenez garde, monsieur le vicomte, » reprit M. Dumas, « vous voyez que je suis armé ; il faut me livrer vos poudres. » — Non pas à vous, » répondit mon père, « mais à une députation de la garde nationale seulement, puisque je me trouve dans l’impossibilité absolue de défendre le dépôt que le roi m’a confié. »

» M. Dumas sortit alors pour aller chercher cette députation, qui, quelques instants après, entra en armes dans la cour ; il monta dans le bureau, et y trouva M. de Lenferna et un autre officier. Le commandant de place, exécutant alors ce qui avait été convenu la veille entre lui et le sous-préfet, donna l’ordre de remettre les poudres à la garde nationale.

» Tels sont les faits dans leur simple vérité. Le récit fait par M. Dumas, cette scène étrange d’intimidation, ces quatre officiers français menacés par lui, effrayés par lui, attendant patiemment qu’il voulût bien leur brûler la cervelle, s’ils n’aimaient mieux obéir à ses ordres, tout cela rencontrera certes autant d’incrédules que de lecteurs ; l’honneur de braves et loyaux officiers n’a rien à redouter de ces exagérations, et