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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/31

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

dormies peu à peu se réveillent et, tout à coup, pleurent, gémissent, se lamentent plus vibrantes que jamais ; le public bat des mains, crie bravo, croit que c’est pour lui que l’actrice fait ces prodiges. Pauvre public ! c’est pour une âme que tu ne soupçonnes pas, tous ces efforts, tous ces cris, toutes ces larmes ! seulement, tu en profites comme d’une rosée, comme d’une lumière, comme d’une flamme. Cette rosée, d’ailleurs, que t’importe qui la verse, cette lumière qui la répand, cette flamme qui l’allume, puisque, à cette rosée, à cette lumière, à cette flamme, tu te rafraîchis, tu t’éclaires, tu te réchauffes !

Eh bien, un soir, Dorval avait été sublime ; — pour qui ? elle n’en savait rien ; — pour une femme qui l’avait tenue trois heures palpitante sous son regard d’aigle ; pendant trois heures, toute la salle avait disparu aux yeux de Dorval : c’était pour cette femme qu’elle avait pleuré, parlé, vécu, agi enfin ; et, quand cette femme avait applaudi, quand cette femme avait crié bravo, l’actrice avait été payée de sa peine, récompensée de sa fatigue, indemnisée de son génie !

Elle s’était dit : « Je suis contente, puisqu’elle l’est. »

Puis la toile s’était abaissée, et, haletante, brisée, mourante, comme la pythie qu’on enlève au trépied, Dorval était remontée à sa loge, et, de triomphatrice devenue victime, elle était tombée presque évanouie sur un sofa.

Tout à coup, la porte de sa loge s’ouvrit, et l’inconnue parut sur le seuil.

Dorval tressaillit, s’élança, lui prit les deux mains comme à une amie.

Les deux femmes se regardèrent un instant, souriant en silence, et des larmes dans les yeux.

— Excusez-moi, madame, dit enfin l’inconnue avec une voix d’une incroyable douceur ; mais je n’ai pas voulu rentrer chez moi sans vous dire laà joie, l’émotion, le bonheur que je vous dois. Oh ! c’est admirable, voyez-vous, c’est merveilleux, c’est sublime !

Dorval la regardait, la remerciait des yeux, de la tête, et surtout de ce mouvement d’épaules qui n’appartenait qu’à