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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/37

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Depuis ce temps, je m’étais lié avec Amaury ; plus tard ; j’ai donné, en souvenir de notre jeune amitié, ou plutôt de notre amitié de jeunesse ; son nom à l’un de mes romans. Il s’était déclaré le soutien enragé de nos œuvres, et c’était lui ; on se le rappelle, fils et neveu d’académicien ; qu’on avait accusé d’avoir, après la première représentation d’Henri III, demandé la tête des académiciens.

J’allai le trouver. Il s’agissait, dans un bal costumé, de tirer parti de mes avantages.

J’ai dit que je n’avais jamais été beau ; mais j’étais grand, bien découplé, quoiqu’un peu mince ; j’avais le visage maigre, de grands yeux, le teint brun ; avec cela, s’il était impossible de faire de la beauté, il était aisé de faire du caractère.

Il fut convenu que le costume des Arnautes m’irait à merveille. Amaury me dessina un costume d’Arnaute.

Ce qu’il y avait surtout de remarquable dans ce costume, c’était le turban, qui, après s’être enroulé deux ou trois fois autour de la tête, passait sous le cou, et allait se rattacher à son point de départ.

Seulement, il fallait faire faire le costume, tout couvert de broderies, de soutaches et de galons.

On y travailla quinze jours.

Enfin la soirée arriva, il fut fini pour onze heures.

À minuit, j’entrais chez madame Lafond.

Ce costume, encore à peu près inconnu en France ; cette veste et ces guêtres de velours rouge brodées d’or ; cette fustanelle blanche comme la neige, où l’on n’avait pas triché d’un seul lé ; ces armes d’argent éblouissantes et merveilleusement ciselées, et surtout l’originalité de la coiffure attirèrent tous les yeux sur moi.

Je devinai que j’allais avoir un triomphe ; mais ce que je ne devinais pas, c’est en quoi le triomphe consisterait.

Je n’avais pas fait dix pas dans la salle, qu’une jeune femme vêtue en prêtresse romaine, toute couronnée de verveine et de cyprès, s’excuse près de son danseur, le quitte, vient à moi, m’entraîne dans un petit boudoir, me fait asseoir, reste debout devant moi, et me dit :