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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/101

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

haie elle-même, ne présente, l’hiver surtout, à l’œil des étrangers, aucune différence avec elle.

L’habitant du pays va droit à cet échalier, qu’il connaît ; tout autre que lui est obligé, la plupart du temps, de longer les quatre faces de l’enclos avant d’en découvrir l’issue.
« Ces haies expliquent toute la tactique de la guerre vendéenne : tirer à coup sûr, sans pouvoir être aperçu ; fuir, quand on a tiré, par le passage, sans risquer d’être atteint. Aussi en acceptant cette belle harangue de la Rochejaquelein : « Si j’avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi ! » les chefs n’en proféraient-ils guère d’autres, avant le combat, que celle-ci, plus simple et surtout plus claire pour les paysans : « Égayez-vous, mes gars ! » ce qui voulait dire : « Éparpillez-vous, mes enfants ! » Et alors, chaque buisson cachait un homme et son fusil ; devant, derrière, sur les deux côtés de l’armée en marche, les haies s’enflammaient, les balles se croisaient en sifflant, et les soldats tombaient avant d’avoir eu le temps de distinguer de quel côté soufflait cet ouragan de feu ! Enfin, las de voir s’entasser les morts au fond des défilés, les bleus s’élançaient de chaque côté, gravissaient le talus, escaladant la haie, et perdant encore, dans cet assaut, la moité de leurs hommes ; puis, arrivés au faîte, ils voyaient subitement le feu cesser ; tout avait disparu comme par enchantement, et ils n’apercevaient plus, aussi loin que la vue pouvait s’étendre, qu’un pays dessiné gracieusement comme un jardin anglais, et, d’espace en espace, perçant le ciel brumeux de l’Ouest, la pointe aiguë d’un clocher couvert d’ardoises, ou, se détachant sur le fond vert des chênes, des hêtres et des noyers, le toit rougeâtre de quelque métairie.
» Ces chemins, ou plutôt ces défilés, qui paraissent, au premier abord, n’avoir été creusés que par le sabot des bœufs, sont, en raison des inégalités du terrain, de véritables escaliers, où les petits chevaux du pays peuvent seuls marcher d’un pied sûr. — Nous dirons un mot de ces chevaux et de la manière de les conduire. — L’été, ces chemins ne paraissent que pittoresques ; l’hiver, ils sont impraticables ; la moin-