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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/106

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de pensions assez considérables que le gouvernement continue à leur payer : rien de plus facile que de les prendre en flagrant délit ; dès lors, le gouvernement pourra cesser, avec justice, de payer ces pensions, et les répartir, par portions égales, entre les anciens soldats vendéens et républicains, dont les haines mutuelles s’amortiront ainsi de trimestre en trimestre.
» De cette manière, il n’y aura plus, dans l’avenir, de Vendée possible, puisque, à la moindre émeute, le gouvernement n’aura qu’à étendre le bras et à disposer ses troupes sur les grandes routes pour isoler les rassemblements.
» Et que l’on ne croie pas que ces hommes, éclairés depuis 1792, en soient arrivés à ne plus se lever pour le fanatisme et la superstition : on se tromperait étrangement ; ceux mêmes que la conscription de Bonaparte a tirés de leurs foyers et promenés par le monde ont perdu graduellement, depuis qu’ils sont rentrés dans leurs chaumières, leur instruction momentanée pour reprendre leur ignorance primitive.
» J’en citerai un exemple.
» Je chassais avec un brave militaire qui avait servi douze ans sous Napoléon. — Sur le versant d’une colline, près de la Jarrie, se dressait, à douze pieds de hauteur, une pierre ayant la forme d’un cône renversé, touchant à la montagne par un côté de son bord supérieur, et par sa base, étroite comme un fond de chapeau, reposant sur un large rocher ; quoique cette pierre pesât quinze ou vingt milliers, son équilibre était tel, qu’une main d’homme pouvait facilement l’ébranler. Je crus y reconnaître un monument druidique ; mais, ne m’en rapportant pas à cette fausse instruction des gens du monde qui va souvent échouer contre la bonhomie grossière des paysans, j’appelai mon compagnon, et lui demandai ce que c’était que cette pierre, et qui l’avait apportée là.
» — C’est le diable ! me répondit-il avec une conviction qui ne paraissait pas redouter de ma part la moindre contradiction.