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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/115

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Je le lui dirai, madame, et je me ferai garant de la parole de monsieur.

Pendant ce temps s’était opéré à bord tout le mouvement qui indique l’appareillage. Le vent était est-sud-est, c’est-à-dire excellent pour sortir de la rivière ; on n’avait donc attendu que le reflux, afin de se mettre en route avec cette double accélération qu’apportent à la marche d’un bâtiment le vent et la marée.

Aussi, tout à coup, la voix du capitaine nous fit-elle tressaillir.

Le pilote venait d’arriver de Saint-Nazaire, et le capitaine donnait ce premier ordre :

— Virez sur l’ancre à pic !

On eût dit, à cet ordre inattendu, que la pauvre voyageuse apprenait pour la première fois qu’il lui fallait quitter la France.

Elle poussa un léger cri, jeta plutôt qu’elle ne posa sa tête sur la poitrine de son mari, et se mit à pleurer à sanglots.

Je profitai de ce redoublement de larmes pour m’éloigner des deux nouveaux époux, et pour aller dire au capitaine que, quand il le jugerait convenable, j’étais prêt à retourner à terre.

— Eh ! me dit-il, vous êtes donc bien pressé de nous quitter ? Je comptais vous garder à déjeuner et à dîner, ou tout au moins à déjeuner, car ajouta-t-il en regardant le ciel, je doute que beaucoup de passagers dînent aujourd’hui.

— Bon ! lui répondis-je, et, une fois en mer, comment vous seriez-vous débarrassé de moi

— De la façon là plus naturelle : vous seriez retourné à terre sur le pilote côtier.

— Tiens, au fait… est-ce possible ?

— Tout est possible à qui désire.

— Eh bien, je déjeune !

— Alors, vous ne nous quitterez qu’aux Piliers ; vous reviendrez avec le pilote, auquel vous donnerez un écu, et vous passerez pour un Anglais qui a voulu tâter du mal de mer.

— C’est dit… Arrangez la chose avec lui.