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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/143

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Avez-vous des papiers ? demandèrent une seconde fois ces hommes d’une manière plus impérative.

— Non.

— Eh bien, alors vous allez nous suivre en prison.

En ce moment, madame de Saint-Fargeau, prévenue, entra dans la chambre, réclama son domestique, et protesta contre la violence qu’on voulait faire à celui-ci.

Nais, malgré les protestations de madame la marquise de Saint-Fargeau, M. de Polignac fut arrêté, garrotté et conduit dans la prison de la ville.

Le lendemain, il avoua au maire qu’il était le prince de Polignac.

Le même jour, conduit par la garde nationale, il partit de Granville. Son passage à travers Coutances et son arrivée à Saint-Lô faillirent lui être fatals : la population menaçait de le mettre en pièces ; un instant, on crut que les efforts de ceux qui le conduisaient, et qui cherchaient à le défendre, seraient inutiles ; des bras s’allongeaient entre les rangs des gardes nationaux et des gendarmes, et essayaient de le harponner ; un homme arriva à lui mettre un pistolet sur la gorge, et peut-être allait-il tirer ; par bonheur, on lui releva le bras.

Le prince était très-pâle ; seulement, on ne pouvait dire si c’était de fatigue ou de terreur.

De Saint-Lô, M. de Polignac avait écrit au ministre de l’intérieur pour protester contre son arrestation, et arguer de sa qualité de pair de France, qui lui donnait le privilège de n’être arrêté que sur un mandat de la chambre des pairs.

Un singulier hasard m’a fourni sur le voyage de M. de Polignac des détails que seul j’ai recueillis, et dont je me souviens peut-être seul aujourd’hui avec les principaux acteurs de cette scène.

Le prince avait été remis aux mains de Thomas. Quand je dis Thomas, mes lecteurs savent bien de qui je veux parler : c’est de ce brave et loyal ami de Bastide, qui, comme Bastide, a risqué sa vie et sacrifié sa fortune pour la cause de la liberté.