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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/149

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

n’ont pas eu le malheur de voir des infortunés immolés sous prétexte de fayettisme. Quant à moi, je suis l’ennemi de la peine de mort, surtout en matière politique. Je conjure donc la Chambre de prendre en considération la proposition de M. de Tracy.

Déjà M. de Kératry était monté à la tribune, et avait dit, avec une certaine éloquence qui lui venait d’un cœur plus élevé que son talent :

— Je l’atteste devant vous, s’il était possible de rassembler dans cette enceinte les parents et les amis des courageuses victimes de juillet, et de leur demander : « Voulez-vous du sang pour du sang ? Parlez ! « le jury silencieux agiterait la tête en signe de refus, et retournerait, avec sa noble douleur vers ses foyers déserts… Que si je me trompais, j’adjurerais les mânes des nobles victimes elles-mêmes en pensée ; je les appellerais à réformer une sentence aussi peu digne d’elles ; car je sais que les braves qui risquent leur vie pour une sainte cause ne versent le sang que pendant la mêlée.

Ces deux discours, dont je cite seulement les points les plus saillants, avaient soulevé un tel enthousiasme dans l’assemblée, que, séance tenante, elle décida qu’une adresse serait envoyée au roi, ayant pour objet la suppression de la peine de mort dans les cas indiqués par la commission. Le soir même, dans une séance extraordinaire, l’adresse fut lue et envoyée.

Mais, il faut le dire, l’enthousiasme qui s’était emparé de la Chambre n’avait pas gagné le peuple, ni ému le moins du monde les républicains.

Pourquoi le peuple, d’ordinaire si généreux ; pourquoi les républicains, si intéressés à l’abolition de cet échafaud sur lequel devaient tomber les têtes de quelques-uns d’entre eux, se déclaraient-ils donc pour la peine de mort ?

C’est qu’ils sentaient bien que cette clémence d’Auguste était factice ; qu’on la proclamerait tant qu’elle serait utile à la politique du moment ; après quoi, l’on en reviendrait aux vieux errements de la place de Grève et de la place de la Révolution.