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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/150

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

C’est qu’ils disaient, l’œil sombre et les lèvres serrées, ce qu’Eusèbe Salverte seul avait eu, avant eux, le courage de dire à la Chambre :

— Un homme poussé par la faim, par la misère, par la vue de sa femme et de ses enfants sans pain ; un homme qui n’a pas mangé pendant trois jours, essaye de voler, et, surpris volant, tue pour échapper aux galères. Cet homme est condamné et exécuté. Alors, la société crie : « Bravo ! c’est bien fait ! cet homme était un voleur, un assassin, un infâme ; il avait mérité l’échafaud… Vive l’échafaud ! » Mais un homme d’État ordonne froidement le massacre de dix mille de ses concitoyens, afin de pouvoir, en montant sur leurs cadavres entassés, parvenir au but de son ambition. Celui-là vous inspire la pitié, et non l’horreur. À celui-là vous dites : « Vous avez voulu faire tomber nos têtes, conservez la vôtre ; allez tranquillement, dans les pays étrangers, jouir des richesses que vous ayez amassées. Le temps suivra son vol, les passions seront amorties, les douleurs publiques et particulières seront apaisées ; on ne lira plus sur nos murs l’histoire de nos troubles gravée par les balles et par la mitraille ; alors, la compassion publique s’élèvera contre la longueur de votre exil : elle demandera que l’on y mette un terme, et, pour la troisième ou quatrième fois, vous ramènerez votre pays sur le bord de l’abîme où vous réussirez peut-être, enfin, à le précipiter. » Et pourquoi cette différence ? À moins que ce ne soit parce que, n’ayant pas eu le courage de frapper vous-même votre victime, comme ce malheureux qui avait faim, vous avez payé des soldats pour faire d’eux les instruments de votre crime !

Voilà ce que M. Salverte avait dit ; voilà ce que disaient le peuple et les républicains.

Or, comme on va bientôt se remettre à tirer sur le peuple et sur les républicains ; comme on va recommencer juillet avec un résultat opposé ; comme, durant dix-huit ans, ce sont les vainqueurs des trois journées qui vont être vaincus, il est bon de poser nettement le point de départ, et de ne pas dire simplement, ainsi qu’on l’a fait : « La Chambre et la royauté