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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/162

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Que, poëte, vous voyez les choses en poëte, voilà tout.

Je m’inclinai.

— Sire, lui dis-je, les anciens appelaient les poètes vates.

Le roi me fit de la main un signe qui voulait dire : « Monsieur Dumas, votre audience est finie ; je sais de vous ce que je voulais savoir ; vous pouvez vous retirer. »

Je compris le signe, je ne me le fis pas répéter, et sortis, autant que je pus, à reculons, pour ne point donner d’entorse à cette étiquette dont le duc d’Orléans avait bien voulu m’offrir une leçon, le jour où le roi Charles X était venu au fameux bal du Palais-Royal.

Je rencontrai Oudard dans l’escalier.

— Vous avez vu le roi ? me demanda-t-il.

— Je le quitte, répondis-je.

— Eh bien ?

— Hier, nous n’étions brouillés qu’à moitié.

— Et aujourd’hui ?

— Aujourd’hui, c’est autre chose, nous le sommes tout à fait.

— Mauvaise tête ! murmura-t-il.

Je lui dis adieu de la main et descendis les escaliers en riant. 

En revenant chez moi, je rencontrai Bixio sur le pont des Tuileries, il était vêtu d’un habit militaire bleu, avec des épaulettes et une fourragère rouges ; il portait une flamme de crin rouge à son schako, des bandes rouges à son pantalon.

— Tiens, lui dis-je, dans quoi es-tu donc ?

— Dans l’artillerie.

— Il y a donc une artillerie ?

— Certainement.

— Qui est composée… ?

— De tous nos amis les républicains : Grouvelle, Guinard, Cavaignac, Étienne Arago, Bastide, Thomas, moi enfin…

— Mais je veux en être, alors.

— C’est difficile, à cause de ta position près du roi.

— Moi ? J’ai parfaitement rompu !

— Tu es donc libre ?