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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/170

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

cinq à vingt-six ans, maniant le fusil comme s’il n’eût jamais fait autre chose de sa vie, et, ce qui était extraordinaire et surtout plus important, disant assez juste.

Je demande pardon à mes lecteurs d’être obligé quelquefois d’employer l’argot du théâtre ; mais, comme tous les argots, il exprime mieux la pensée que la langue à laquelle on le substitue.

Il me semblait, en outre, que le visage de mon accessoire ne m’était point inconnu, et lui, sans trop s’aventurer cependant, me saluait en souriant, de son côté, d’un air qui voulait dire : « Ce n’est pas au théâtre seulement que je vous ai vu. »

Où m’avait-il vu ? où l’avais-je vu moi-même ? Voilà ce qui me restait à savoir. J’avais demandé son nom : il s’appelait Charlet, comme notre illustre lithographe. Ce nom n’éveillait en moi aucun souvenir.

Un jour, cependant, au beau milieu d’une évolution de la vieille garde, je m’arrêtai devant lui.

— Pardon, monsieur Charlet, lui dis-je, il me semble vous avoir vu quelque part… Où ? Je n’en sais rien ; seulement, je parierais ma tête que vous ne m’êtes pas inconnu… Pouvez-vous aider mes souvenirs ?

— C’est vrai, monsieur, me dit-il ; nous nous sommes vus trois fois, comme on se voyait dans ces moments-là : une fois rue Saint-Honoré, une fois au pont de la Grève, une fois au Louvre.

— Ah ! oui, je me rappelle… au pont de la Grève… vous commandiez l’attaque où le porte-drapeau fut tué ?

— C’est cela, me répondit-il.

— Et vous êtes acteur ?

— C’est-à-dire, vous voyez, j’essaye de le devenir.

— Pourquoi avez-vous attendu que je vous parlasse ?

— Je suis timide.

— Pas en face des balles, au moins !

— Oh ! les balles, cela tue, voilà tout.

Il se mit à rire.

— C’est-à-dire, reprit-il, que je suis timide, comme je vous