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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/177

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ou en fuite. — C’est vrai, répondis-je ; mais il en viendra d’autres… — Qui se feront tuer à leur tour, blesser à leur tour, et qui fuiront à leur tour. Pauvres enfants que vous êtes ! S’il vous revenait quelque chose, au moins, des révolutions ! mais, après chaque révolution, j’ai vu le peuple plus malheureux qu’auparavant. — Bah ! dis-je, il faudra pourtant bien qu’on en fasse une bonne ! — Qu’êtes-vous de votre état ? me demanda l’inconnu. — Ouvrier ébéniste dans le quartier de l’Arsenal. — Comment l’ouvrage allait-il au faubourg Saint-Antoine ? — Mais l’ouvrage allait bien. — Réussissez à faire votre révolution, et vous verrez, dans six semaines, comment ira l’ouvrage. — Eh bien, on se serrera le ventre, mais, au moins, on sera libre ! — On se serrera le ventre, et on sera peut-être moins libre qu’on ne l’était. » Il se leva. « Écoutez, mon ami, vous m’avez dit, je crois, que vous demeuriez au quartier de l’Arsenal ? — Oui. — Eh bien, si, comme j’en ai peur, l’ouvrage manque, souvenez-vous de moi… Venez à la bibliothèque de l’Arsenal ; demandez-en le bibliothécaire, et, si je puis vous être bon à quelque chose, disposez de moi. » Et, s’approchant du comptoir, il paya et partit. J’avais surpris des signes d’intelligence entre le maître du café et mon inconnu ; je restai derrière lui dans l’intention de savoir à qui j’avais affaire. J’allais, en conséquence, interroger le maître du café, quand celui-ci, s’approchant de moi le premier : « Vous connaissez la personne qui vient de sortir ? me dit-il. — Ma foi ! non ; mais je vous avoue que j’ai envie de la connaître. — Et vous avez raison, car c’est un brave homme s’il en fut jamais ! — Diable ! dis-je, tant pis ! — Comment, tant pis ? — Si vous saviez de quel nom je l’ai apostrophé ! — Lui ? — Oui, lui… Je l’ai appelé mouchard ! — Mouchard ? M. Charles Nodier ? — Comment ! cet homme qui sort d’ici, avec lequel je viens de trinquer, c’est M. Charles Nodier ? — Lui-même, — Ah ! mon Dieu ! — Eh bien, que faites-vous ? — Mais je cours après lui… je le rejoins… je lui demande pardon… Mouchard ! N. Charles Nodier ! » Et je secouais de toutes mes forces la porte que le maître du café avait refermée au verrou. En ce moment, la fusillade recommença ; cinq ou six balles trouè-