Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Les répétitions d’Antony marchèrent donc concurremment avec celles de Napoléon. Mais il y avait cette différence entre les deux pièces et les deux théâtres, qu’à l’Odéon tout le monde était content de son rôle, et que, depuis le directeur jusqu’au souffleur, chacun me secondait de son mieux, tandis qu’au Théâtre-Français tout le monde était mécontent de son rôle, et, depuis le directeur jusqu’au souffleur, chacun entravait l’auteur et l’ouvrage.

On connaît mademoiselle Mars ; je l’ai montrée à une répétition d’Hernani, épluchant le rôle de doña Sol ; je regrette de m’être tant pressé, je l’eusse montrée aux répétitions d’Antony, épluchant le rôle d’Adèle.

De son côté, Firmin plumait tant qu’il pouvait celui d’Antony ; toute plume d’une nuance un peu tranchée faisait tache sur l’espèce de ton grisaille qu’on voulait donner à un ouvrage dont le cachet dominant avait d’abord été la couleur, et, à force de tirer délicatement chaque plume, le rôle tournait tout doucement à l’amoureux du Gymnase.

Au bout d’un mois de répétitions, la pièce, privée de tous ses points saillants, pouvait être réduite à trois actes, et même à un seul acte.

Un beau matin, la proposition me fut faite de supprimer le second et le quatrième acte, qui faisaient longueur.

J’avais pris un tel dégoût de l’ouvrage, que j’étais prêt à le supprimer tout entier ; j’en étais arrivé à trouver que c’était Napoléon qui était l’œuvre d’art, et Antony qui était l’œuvre vulgaire.

On fixa le jour de la représentation : il fallait se débarrasser de la pièce, qui tenait le théâtre, et qui empêchait de passer Don Carlos, ou l’inquisition, drame sur lequel on comptait beaucoup, mais dont, le jour de la première représentation, l’auteur désira garder l’anonyme, et pour cause.

Sur ces entrefaites, Hugo était venu me trouver ; il avait compris qu’au Théâtre-Français nous ne serions jamais pour les comédiens, pour les habitués, pour le public même, que des usurpateurs ; les stupidités qu’on nous avait prêtées sur Molière, Corneille et Racine, avaient germé à l’orchestre ; et