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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/183

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

samedi suivant, et que nous étions au mardi ou au mercredi, Firmin me prit à part.

— Mon cher ami, me dit-il, je n’ai pas voulu te refuser le rôle d’Antony, d’abord parce que je jouerai tous les rôles que tu me distribueras, ensuite parce que, m’ayant donné le rôle de Saint-Mégrin, qui est un bon rôle, tu as acquis le droit de m’en donner un mauvais…

Il s’attendait à ce que je l’arrêtasse ; mais, au contraire, je le laissai dire. Il continua :

— Mais, tu comprends, je représente le principal personnage, et je ne veux pas prendre sur moi la responsabilité de la chute de la pièce.

— Tu crois donc qu’elle tombera ?

— C’est ma conviction… Je ne sais pas comment il se fait que, toi qui connais si bien ton théâtre, tu aies hasardé un rôle si monotone… Antony est un rabâcheur qui, depuis le premier acte jusqu’au cinquième, répète toujours la même chose ; qui se fâche on ne sait pourquoi ; une espèce de monomane sans cesse en rage, en fureur, en hostilité contre les autres hommes.

— Ainsi, voilà l’effet que te produit Antony ?

— Oui.

— Ça ne m’étonne pas : c’est justement ce que j’ai voulu faire.

— Eh bien, n’importe… Te voilà prévenu, n’est-ce pas ?

— Oui, mais ce n’est pas le tout que de prévenir un homme qu’il va tomber, il faut encore lui donner un moyen d’éviter la chute.

— Ah ! moi, dit Firmin, tu comprends, je suis acteur, et non auteur ; je joue des pièces, mais je n’en fais pas.

— Enfin, tu, as bien une idée ?

— Oui, j’en ai une… mais je n’ose pas te la dire.

— Dis toujours.

— Tu sauteras aux frises !

— Pourvu que je ne te retombe pas sur les pieds, peu t’importe !

— Eh bien !…