Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

La femme de chambre me regarda.

— Eh bien, oui, dis-je, pour moi.

— Oh ! que c’est drôle ! dit-elle. — Enfin…

— Tu vois, dis-je à Dorval, c’est un scandale.

— Quoi ! ça t’étonne, Louise ? Il a une lettre de change, il craint d’être arrêté chez lui demain matin, et il couche ici, voilà tout ; seulement, il ne faut pas le dire.

Cette bonne Dorval, elle ne connaissait que deux motifs pour lesquels on pût ne pas coucher chez soi : une maîtresse ou une lettre de change.

— Ah ! fit Louise, bon, bon, bon ! Je crois bien qu’il ne faut pas le dire !

— Surtout à M. le comte, tu comprends… d’autant plus qu’il n’y a pas de mal.

Louise sourit.

— Oh ! madame me prend pour une autre, par exemple… Madame n’a pas autre chose à m’ordonner ?

— Non.

Louise sortit.

Nous restâmes seuls : moi, comme toujours, en admiration devant cette nature naïve, prime-sautière, obéissant sans cesse au premier mouvement de son cœur, ou au premier conseil de son imagination ; elle, joyeuse comme un enfant qui se donne des vacances ignorées et savoure un plaisir inconnu.

Alors, debout devant moi, sans prétention, avec des poses d’un abandon admirable, des cris d’une justesse douloureuse, elle repassa tout son rôle, n’en oubliant pas un point saillant, me disant chaque mot comme elle le sentait, c’est-à-dire avec une poignante vérité, faisant éclore du milieu de mes scènes, même de ces scènes banales qui servent de liaison les unes aux autres, des effets dont je ne m’étais pas douté moi-même, et, de temps en temps, s’écriant en battant des mains, et en sautant de joie :

— Oh ! tu verras, mon bon chien, tu verras, quel beau succès nous aurons !

Ô splendide organisation que la mort a cru détruire en la frappant entre mes bras, et que j’ai juré, moi, de ne pas lais-