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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/228

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

sont les destins qui sont révolus, ce sont les flots qui, de changeants, sont devenus tranquilles. L’Océan n’est plus qu’un lac immense, sans houle et sans tempête, réfléchissant l’azur du ciel, et au fond duquel, grâce à la transparence de l’eau, on peut voir le cadavre des monarchies mortes, les débris des trônes échoués.

Merci, Béranger ! merci, poëte prophète ! merci encore ! merci toujours !

Qu’arriva-t-il à l’apparition de ces prophéties qui froissaient tant d’intérêts ? Que les gens qui savaient par cœur les anciennes chansons de Béranger, parce que leur ambition, leurs espérances, leurs désirs s’en étaient fait des armes pour détruire le vieux trône, ne lurent pas même ses chansons nouvelles, ou que ceux qui les lurent se dirent les uns aux autres : « Avez-vous lu les nouvelles chansons de Béranger ? — Non. — Oh ! ne les lisez pas… Pauvre homme, il baisse ! » Et on ne les lut pas, ou bien le mot fut donné, si on les avait lues, pour dire que le chansonnier baissait.

Non, non, le chansonnier ne baissait pas ! le chansonnier grandissait, au contraire ; mais, de même que, de chansonnier, il était passé poëte, de poëte, il passait prophète ! c’est-à-dire qu’il devenait de plus en plus incompréhensible pour les masses.

L’antiquité nous a conservé les chansons d’Anacréon, elle a oublié les prophéties de Cassandre.

Pourquoi cela ? Homère nous le dit : les Grecs ne croyaient pas aux prophéties de la fille de Priam et d’Hécube.

Hélas ! Béranger fit comme elle, il se tut ; tout un monde de chefs-d’œuvre près d’éclore s’arrêta sur ses lèvres muettes ; il sourit de son sourire si fin, et il dit :

— Ah ! je baisse ! eh bien, demandez des chansons à ceux qui s’élèvent !

Rossini avait dit la même chose après Guillaume Tell. Qu’en résulta-t-il ? C’est que nous n’eûmes plus d’opéras de Rossini, ni de chansons de Béranger.

Maintenant, peut-être me demandera-t-on comment il se fait que Béranger, républicain, habite tranquillement avenue de