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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/249

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

et produisait son effet. On eût dit que l’on marchait sur de la lave.

Je vois l’adjudant Richy s’approcher de Bastide, et lui dire tout bas quelques mots à l’oreille.

— Ce n’est pas possible ! s’écrie Bastide.

— Voyez-y plutôt vous-même, ajoute Richy.

Bastide sort précipitamment, et presque aussitôt nous l’entendons crier :

— À moi, les artilleurs de la troisième !

Mais, avant que nous eussions eu le temps de franchir le seuil du corps de garde, lui avait enjambé les cordages du parc, et était allé droit à un groupe d’hommes qui, malgré la consigne, se trouvait dans l’enceinte réservée aux pièces.

— Hors du parc ! criait Bastide, hors du parc à l’instant même, ou je vous passe mon sabre au travers du corps, à tous les uns après les autres !

— Capitaine Bastide, dit un des hommes à qui s’adressait cette menace, je suis le commandant Barré…

— Soyez le diable, peu m’importe ! la consigne est qu’on n’entre pas dans le parc : hors du parc !

— Pardon, dit Barré, mais je voudrais bien savoir qui commande ici, ou de vous ou de moi ?

— Celui qui commande ici, c’est le plus fort… Je ne vous connais pas… À moi, artilleurs !

Nous étions cinquante autour de Bastide, le poignard à la main.

Quelques-uns avaient eu le temps de prendre au râtelier leurs mousquetons tout chargés.

Barré céda.

— Que voulez-vous ? demanda-t-il.

— Prenez une pièce au hasard, et mettez-la en batterie ! nous crie Bastide.

Nous nous élançons sur la première pièce venue ; mais, au troisième tour de roue, la rondelle saute, et la roue tombe.

— Ce que je veux, dit Bastide, c’est que vous me rendiez les esses de mes pièces, que vous venez d’enlever.

— Mais, enfin…