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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/273

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Eh bien, j’ai un conseil à vous donner.

— À moi ?

— À vous.

— Donnez, dit Rabbe en regardant Brézé par-dessus ses lunettes, comme il avait l’habitude de le faire quand il éprouvait un grand étonnement ou que l’on commençait à l’impatienter.

— Croyez-moi, c’est un ami qui vous parle.

— Je n’en doute pas ; mais le conseil ?

— Rabbe, mon ami, au lieu de faire des résumés, faites des vaudevilles !

Un rugissement sourd gronda dans la poitrine de l’historien. Il saisit par le bras le donneur de conseils, et, d’une voix terrible :

— Monsieur, lui dit-il, c’est un de mes ennemis qui vous envoie pour me faire insulte.

— Un de vos ennemis ?

— C’est Latouche !

— Mais non…

— C’est Santo-Domingo !

— Non…

— C’est Loëve-Weymars !

— Je vous proteste que non.

— Nommez-moi cet insolent.

— Rabbe !… mon cher Rabbe !…

— Nommez-le-moi, monsieur, ou je vous prends par le talon, et je vous précipite dans la Seine comme Hercule précipita Pirithoüs dans la mer…

Puis, s’apercevant qu’il faisait une fausse citation :

— Pirithoüs ou un autre, peu importe !

— Mais je vous affirme…

— Alors, c’est vous ? s’écria Rabbe ne lui donnant pas le temps d’achever sa phrase. Eh bien, monsieur, vous allez me rendre raison de cette insolence !

À cette proposition, Brézé fit un tel bond, qu’il arracha son bras de la tenaille qui le serrait, et courut se mettre sous la protection de l’invalide qui surveillait le péage du pont.