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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/28

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Oh ! quant à la poste d’ici à Chauny, cela me regarde, et c’est moi qui vous conduis, dit en retroussant ses manches un vigoureux boucher à la figure joviale, et qui stationnait devant la poste avec sa petite charrette suspendue sur les brancards, et dont cinq ou six bottes de paille formaient les banquettes ; — et je dis, ajouta-t-il, que vous n’aurez jamais été si lestement conduits !

— Eh bien, soit, camarade ! dirent Charras et Lothon en prenant place près de lui. — Hé ! vous, postillon, suivez-nous avec le cabriolet ! crièrent-ils. — Adieu, colonel !

— Adieu, mes enfants !

— En route ! cria le boucher en faisant claquer son fouet, et vive la Charte ! vive la Fayette ! vive le gouvernement provisoire !… À bas Charles X, le dauphin, Polignac et tout le tremblement !… Houp !…

Et, en effet, ainsi que l’avait promis le boucher, la charrette partit rapide comme une trombe.

À Chauny, on se sépara du boucher, et on remonta en cabriolet.

Le lendemain, à dix heures du matin, c’est-à-dire une heure après moi, Charras et Lothon arrivaient à l’hôtel de ville, juste au moment où le général la Fayette, toujours galant, baisait la main de mademoiselle Mante, qui, accompagnée de M. Samson et d’un troisième sociétaire, venait mettre la Comédie-Française sous la protection de la Nation.

Cette députation fut cause que les deux jeunes gens attendirent une demi-heure, et qu’en attendant, ils apprirent ce qui s’était passé depuis leur départ : c’est-à-dire que le duc d’Orléans était lieutenant général, et que Louis-Philippe allait être roi.

— Ah ! c’est comme cela, s’écria Lothon à Charras ; eh bien, tu vas voir ce que je vais lui dire, au père la Fayette !

Ce fut au tour de Charras d’essayer de calmer Lothon.

Mais Lothon ne voulait pas se calmer : — sa blessure, la chaleur, l’exaltation, le peu de vin que l’on avait bu, le refus de se laisser saigner, tout cela lui avait donné le transport.