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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/29

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Une fièvre cérébrale se déclarait.

Il entra dans la chambre où était la Fayette, bousculant tous ceux qui voulaient s’opposer à son passage. Je l’ai dit, la Fayette était soigneusement gardé.

Charras suivit Lothon.

Alors, croisant ses bras sur sa poitrine, son chapeau troué de sept balles jeté à terre, le front bandé par sa cravate noire, les yeux étincelant de fièvre, les joues pourpres de colère, le jeune homme demanda compte au vieillard, en termes qu’il faudrait avoir sténographiés pour pouvoir les reproduire, de cette liberté achetée au prix de tant de sang, que le peuple lui avait confiée, et qu’il venait de se laisser arracher par la ruse et l’ambition des courtisans.

C’était si beau, si grand, si éloquent, si formidable, si inouï de poésie, de folie même, que personne n’osait l’interrompre.

— Général, disait tout bas Charras à la Fayette, pardonnez-lui… Vous le voyez, il a le transport au cerveau.

— Oui, oui, disait la Fayette.

Puis, à Lothon :

— Mon ami… mon jeune ami… allons, allons… calmez-vous !

Alors, se retournant :

— N’y a-t-il pas ici un médecin pour saigner ce jeune homme ? demanda-t-il.

Lothon entendit la proposition.

— Me saigner ? s’écria-t-il. Oh ! non, non ! Puisque la liberté est perdue à nouveau, ce n’est pas sous la lancette d’un médecin que mon sang doit couler… c’est sous les baïonnettes de la garde royale, c’est sous les balles des Suisses… Laissez-moi mon sang, général ; tant que les Bourbons sont en France, branche aînée où branche cadette, j’en ai besoin !… Viens, Charras, viens !

Et il s’élança hors de la salle, laissant la Fayette tout pensif et tout troublé.

Peut-être cette voix qui venait de retentir à l’oreille du général répondait-elle directement à la voix de sa conscience ;