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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rait que jamais missionnaire entrant dans une ville de la Chine ou du Thibet n’avait été si près du martyre.

En effet, le bruit s’était répandu dans le village de Lèves que le prêtre romain arrivait. Aussitôt, chacun était rentré chez soi ; portes et fenêtres s’étaient fermées. Le pauvre abbé put croire un instant qu’on lui avait donné à desservir une ville morte comme Herculanum ou Pompéi.

Mais, arrivé au milieu du village, il vit toutes les portes s’ouvrir sournoisement, toutes les fenêtres s’entre-bâiller avec hypocrisie : en un moment, il se trouva environné, lui et le maire, qui l’accompagnait, d’une trentaine de paysans qui le sommèrent de se retirer.

Il faut rendre au maire et à l’abbé cette justice de dire qu’ils essayèrent de faire résistance ; mais, au bout de quelques minutes, les cris devinrent si furieux, les menaces si terribles, que le maire, profitant de ce qu’il était à portée de sa maison, s’esquiva, ferma la porte derrière lui, et abandonna l’abbé Duval à son malheureux sort.

C’était bien mal de la part du maire ; mais, que voulez-vous ! tous les magistrats ne sont pas des Bailly, comme tous les présidents ne sont pas des Boissy-d’Anglas ; — demandez plutôt à M. Sauzet, à M. Buchez et à M. Dupin !

Par bonheur pour le pauvre abbé, en ce moment critique, un membre du conseil de préfecture bien connu et très-estimé des habitants de Lèves passait avec son cabriolet ; il s’informa de la cause du tumulte, se déclara en faveur de l’abbé Duval, s’empara de lui, le fit monter dans sa voiture, et le ramena à Chartres.

Pendant ce temps, le mort attendait toujours !