Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/301

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
298
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Dès le matin, un escadron du 4e régiment de chasseurs et une escouade de gendarmerie vinrent prendre position devant l’église.

Une heure après les soldats, arrivèrent M. le préfet de Rigny, le général commandant le département et le chef de la gendarmerie. Ils amenaient avec eux un nouvel abbé, l’abbé Dallier. Celui-ci venait, appuyé, cette fois, d’une force armée respectable, pour réintégrer le vrai Dieu dans son église. Cela commençait à avoir l’air d’une parodie du Lutrin.

Cependant, toute la population de Lèves s’était peu à peu amassée dans la rue que nous appellerons la rue des Grands-Prés, et dont j’ai bien peur que nous ne soyons le parrain.

Pour empêcher que l’on ne rouvrit l’église latine, les femmes, plus acharnées peut-être encore que les hommes contre cette réouverture, s’étaient entassées sous le porche.

Le préfet essaya de se faire jour à travers leurs rangs ; il était suivi d’un serrurier ; — les Lévois, lors de l’arrivée de l’abbé Duval, avaient jeté les clefs de l’église dans la rivière.

Comme le serrurier n’avait aucun caractère administratif, c’était à lui surtout que s’adressaient les cris et les menaces. Ces cris et ces menaces montèrent à un tel diapason, que le pauvre diable prit peur, et s’enfuit.

La protection du préfet ne le rassurait, comme on voit, que médiocrement.

L’exemple était contagieux : soit que le préfet se laissât à son tour intimider par ces cris ; soit que, sans serrurier, toute tentative sur les portes de l’église lui parût inutile, il battit en retraite à son tour.

Il est vrai qu’on venait de lui dire qu’entraînés par les séductions des femmes de Lèves, comme les compagnons du roi d’Ithaque par les sorcelleries de Circé, les chasseurs s’étaient oubliés, un instant avant l’arrivée des autorités que nous avons nommés, jusqu’à crier : « Vive l’abbé Ledru ! vive l’Église française ! » C’était un cri un peu bien séditieux pour une époque où l’armée ne votait ni ne délibérait !

Tant il y a que le préfet battit en retraite, comme nous l’avons dit.