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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/302

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Juste en ce moment, l’abbé Ledru apparut au seuil de sa grange. Aussitôt quatre femmes s’érigèrent en quêteuses, et firent la quête dans leurs tabliers tendus.

Le produit de la quadruple quête fut employé à acheter de l’eau-de-vie pour les soldats.

Était-ce l’abbé Ledru qui avait donné ce conseil corrupteur ? ou bien était-il venu d’inspiration aux quêteuses ? La femme est si décevante, et le diable est si malin !

Les soldats, après avoir crié : « Vive l’abbé Ledru ! » burent à la santé de l’abbé Ledru et à la suprématie de l’Église française, — ce qui était bien autrement grave !

S’il eût su profiter des dispositions des soldats, l’abbé Ledru eût été capable d’aller mettre le siége devant Rome, comme le connétable de Bourbon. Mais sans doute son ambition n’allait point jusque-là ; il n’en fit pas même la proposition.

Pendant ce temps, le préfet, le général commandant le département et le chef de la gendarmerie délibéraient à la mairie sur le parti à prendre. Les officiers de chasseurs sentaient leurs hommes tout près de leur échapper : l’escadron menaçait de nommer le primat des Gaules son aumônier, et de proclamer que, si la religion romaine était le culte de l’État, la religion française était celle de l’armée.

On résolut d’envoyer chercher le procureur du roi, qui passait pour une forte tête.

Une heure après, le procureur du roi arriva avec deux substituts et un juge.

L’escadron de chasseurs continuait de boire à la santé de l’abbé Ledru et à la suprématie de l’Église française.

Renforcés des quatre magistrats, le préfet, le général commandant le département et le chef de la gendarmerie s’acheminèrent vers la rue des Grands-Prés. Cette fois, la rue était littéralement encombrée.

Il s’agissait de faire une seconde tentative sur l’église.

On comptait que cette masse d’illustrations militaires, civiles et magistrales imposerait à la foule. Bah ! la foule se mit à crier à tue-tête : « À bas les carlistes ! à bas les jésuites ! à bas l’évêque !… Vive le roi et l’Église française ! »