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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/304

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

mités de la rue des Grands-Prés, où étaient situées, comme on sait, l’église latine et l’église française.

Pour construire ces barricades, qui s’élevèrent avec la rapidité de la pensée, un sabotier donna trois ou quatre poutres, un charretier amena deux ou trois charrettes, le maître d’école laissa prendre ses tables, les habitants firent hommage de leurs volets.

Les gamins ramassèrent des provisions de pierres.

Je ne sais si mes lecteurs connaissent les pierres de Chartres ; ce sont de jolis cailloux qui varient de la grosseur d’un œuf de pigeon à celle d’un œuf d’autruche, et qui, brisés, soit par l’art, soit par la nature, offrent toujours un côté tranchant comme un rasoir. Chartres est, en partie, pavé de ces cailloux-là, et les paveurs ont ordinairement la prévenance de mettre le côté tranchant en contact avec la chaussure des promeneurs ; ce qui fait croire, avec assez de raison, qu’il leur est payé une redevance par l’estimable corporation des cordonniers.

Mon ami Noël Parfait, Chartrain dans l’âme, et amoureux, comme tout cœur bien né, de la gloire de son pays, soutient que Chartres a été jadis port de mer, et que ces cailloux sont tout uniment les galets que la houle océane roulait autrefois sur la plage.

Au bout d’une heure, il y avait derrière chaque barricade assez de munitions pour soutenir un siège de huit jours.

D’ailleurs, les projectiles naissaient sous les mains ou plutôt sous les pieds des munitionnaires.

Un individu monta dans le clocher de l’église, afin de veiller sur la route de Chartres, et de sonner le tocsin aussitôt que la troupe apparaîtrait.

L’abbé Ledru bénit les combattants, invoquant en français le Dieu des armées, et l’on attendit les événements.

Tout cela s’était passé en vue des chasseurs et des gendarmes, qui, retirés dans la Grande-Rue, avaient assisté, sans s’y opposer, à tous ces préparatifs de combat. Décidément, les malheureux étaient gagnés à l’hérésie !