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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/321

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

et tout près de paraître, je lui reprochais de s’être rallié au nouvel empire.

Or, voici la lettre que, sur ces rapports, m’écrivit aussitôt l’illustre chansonnier :

« Paris, 19 août 53.

» J’apprends, mon cher Dumas, que vous vous préparez à publier (dans vos Mémoires sans doute) un article où vous me reprochez de m’être fait le partisan du nouvel empire. Qui a pu vous mettre sur mon compte une pareille idée en tête ? Vous ne m’en avez rien dit lorsque vous m’avez rencontré. Je suis même sûr que vous n’en croyez rien. Vous voulez seulement vous venger de mes mauvaises plaisanteries par cette espièglerie nouvelle, qui sera chose fort sérieuse pour moi, dont la vie tout entière devrait suffire pour répondre à une pareille accusation.

» Je ne fais pas mystère de mes opinions, tout en respectant la bonne foi dans les opinions opposées. Au reste, la politique vous a toujours fort peu occupé ; n’en parlons pas ici. Mais ce que vous eussiez dû vous dire en formulant le jugement que vous portez sur moi, d’après je ne sais quelles dépositions, c’est qu’à Paris je manquerais de liberté pour repousser l’accusation, moi qui vis loin du journalisme. Je viens donc exiger de vous que vous me fassiez faire place au barreau.

» Si votre article paraît dans la Presse, où je n’ai aucune relation, j’aurai besoin que ma réponse se trouve dans le même journal. Obtenez-moi donc de M. de Girardin, que je connais trop peu pour ne pas me faire appuyer auprès de lui, l’assurance qu’il voudra bien faire insérer quinze ou vingt lignes dans un des numéros qui suivront le vôtre. Je promets, bien entendu, de me tenir dans les termes que la censure ne peut incriminer, ce qui ne sera pas chose facile. Au reste, M. de Girardin sera juge, et je connais assez son esprit pour compter sur ses bons conseils.

» J’ai aujourd’hui plus de soixante-treize ans. C’est un peu dur d’être obligé de venir, à cet âge, se faire donner un certificat de bonne vie et mœurs. Vous le voulez. Répondez-moi le plus tôt possible, et pardonnez-moi d’avoir pris mon papier à l’envers.

» Béranger,
» Rue Chateaubriand, 5, à la pension
bourgeoise. »


Je m’empressai, bien entendu, de répondre à Béranger qu’avec ou sans mauvaise intention, on l’avait induit en erreur ; que, depuis le 2 décembre, certaines gens m’avaient bien voulu souffler des calomnies à son endroit, mais que je les avais méprisées, et que, dans le chapitre de mes Mémoires qui lui était consacré, je ne faisais qu’exprimer l’ad-