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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/322

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miration que m’inspirait son talent et son caractère ; qu’au surplus, j’allais prier le secrétaire de la Presse, M. Nefftzer, de lui communiquer les épreuves du chapitre en question, sur lequel je lui donnais carte blanche, jugeât-il à propos de le supprimer tout entier.

Il m’écrivit alors ce qui suit :

« Mon cher fils, je me suis mal exprimé ou vous m’avez mal compris. Je ne demande le sacrifice de rien de ce que peut contenir votre article. Je n’en veux pas même recevoir communication. Mais, quand il aura paru, si je juge utile d’y répondre, je désire que M. de Girardin m’en accorde la facilité dans son journal. La faveur que je sollicitais de votre crédit se réduit à cela, et je vous remercie de me la faire espérer, pour en user si bon me semble.

» Vous concevez qu’il m’en coûte d’occuper encore le public de moi, et que je ne veux pas me laisser remettre en scène par ceux qui n’ont pas cru devoir protester à la Chambre et dans les journaux lorsque j’ai été déclaré citoyen indigne et privé de tout droit politique. Le mieux, d’après cela, est de rester dans le coin où l’on m’a repoussé, et où, du reste, j’ai passé toute ma vie.

» En bon fils, arrangez-vous donc pour ne pas me forcer d’en sortir. Vous le ferez, si vos témoignages d’attachement sont aussi sincères que je me plais à le croire. Ne m’envoyez donc pas M. Nefftzer, parce que je ne veux pas jeter les yeux sur les épreuves de votre article, quelques remercîments que je vous doive pour le bien que, dites-vous, il contient sur mon compte.

» On m’avait dit, hier, que vous étiez à Paris. Tout souffrant que je suis, j’ai couru chez votre fils chercher votre adresse. I l était absent. Je lui ai laissé un mot. Sans doute, on s’était trompé en m’assurant votre présence à Paris.

» Aujourd’hui, j’ai trouvé votre lettre, à ma rentrée pour dîner. Je crains que ma réponse ne puisse partir que demain.

» Tout à vous.
» Béranger.
» 21 août 53. »

La Presse publia donc mes feuilletons tels quels, ce qui me valut cette troisième et charmante lettre du noble vieillard :

« Cher fils, je ne sais comment vous vous y êtes pris ; mais il ne me reste à vous faire que force compliments pour ce qu’il y a d’esprit dans les articles que j’ai lus, et plus encore, à vous faire des remercîments pour les fleurs et même les lauriers dont vous voulez bien parer ma tête chauve ; parure dont mon scepticisme ne peut s’empêcher de rire.