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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/41

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Palais-Royal à la porte Saint-Honoré, tant la rue était encombrée ; les voitures marchaient à la file comme à Longchamp.

Nous nous remîmes en route, les uns prenant par le bord de l’eau, les autres par la grande avenue des Champs-Élysées.

Sur la place Louis XV, on cria : « Gare ! » C’était le général Pajol qui venait de recevoir le commandement de l’armée expéditionnaire, et qui allait, au grand galop, prendre la tête de la colonne. Il avait avec lui Charras, Charles Ledru et deux ou trois autres personnes.

Nous nous rangeâmes ; il passa, et prit le bord de l’eau.

Nous suivîmes la grande allée. Au rond-point des Champs-Élysées, nous tournâmes à gauche, pour rejoindre le quai de Billy par l’avenue Montaigne.

Au milieu de cette avenue stationnait un groupe de cavaliers ; le colonel Jacqueminot faisait le centre de ce groupe. Il était en costume de député, et avait encore les fleurs de lis d’argent au collet de son habit.

Sans doute le général Pajol venait-il de l’envoyer chercher, car il parlait vivement avec Charras.

En ce moment, Étienne Arago passa, conduisant une bande de cent hommes, à peu près.

Chaque fois qu’on se rencontrait, on hurlait : « Vive la Charte ! » Nous hurlâmes : « Vive la Charte ! »

Cela ennuya, à ce qu’il paraît, le colonel Jacqueminot, et il avait bien le droit d’être ennuyé, je le déclare ; ce n’était pas amusant de vivre au milieu de ces cris éternels.

— Oui, oui, hurlez : « Vive la Charte ! » tas de c… ! cela vous engraissera comme des rognures d’hostie !

La phrase était assez originale pour que, malgré les vingt-deux ans qui se sont écoulés depuis ce jour, je n’en aie pas oublié une syllabe.

Nous n’en criâmes que plus fort, et nous continuâmes notre route du côté de Versailles.