Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

poste avancé, à un quart de lieue du village ; et, avec les trois ou quatre mille fiacres, les quinze ou dix-huit cents cabriolets, les tilburys, les charrettes, etc., on établissait une grande ligne de barricades qui coupait la route, s’étendant à droite et à gauche dans la plaine, sur tout le front du camp, et se recourbant des deux côtés sur les ailes.

En chemin, j’avais été harponné par un monsieur en habit noir, en pantalon noir, en gilet blanc : tout cela était gris-perle ; il avait rencontré le cortège, et emporté par le tourbillon, était monté debout derrière un fiacre. D’armes, il n’en avait aucune, pas même un canif. Comme on le voit, celui-là était un véritable amateur.

L’amateur n’avait pas mangé depuis la veille ; pour le moment, il demandait à cor et à cri un morceau de pain quelconque.

Il était courtier de commerce de son état, et de son nom s’appelait Detours.

Je lui indiquai notre drapeau, l’invitai à continuer encore quelques instants ses recherches, infructueuses jusque-là, et à venir nous rejoindre autour de notre meule, les mains pleines ou vides.

Au bout d’un quart d’heure, je le vis arriver avec un morceau de pain et une moitié de gigot. Il avait rencontré Charras, qui l’avait pris en miséricorde, et l’avait mis à même de la cantine du général Pajol.

Il s’excusait de ne pas apporter davantage.

Mes hommes, de leur côté, s’étaient répandus dans les fermes environnantes, et avaient décroché quelques poules et une certaine quantité d’œufs.

On mit les vivres en commun, et, tant bien que mal, on soupa.

eulement, nous soupâmes — nous, quatre ou cinq cents peut-être, — parce que nous étions arrivés les premiers ; mais on entendait rugir de faim ceux qui étaient arrivés les derniers.

Le repas terminé, je creusai une espèce de voûte sous la meule, voûte où nous nous enfournâmes sybaritiquement, Delanoue et moi.