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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/68

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Bonaparte a fait à ma famille me rend peut-être injuste pour Napoléon ; d’ailleurs, il me paraissait impossible d’écrire un pareil drame sans soulever les passions mauvaises. Je refusai donc.

Harel se mit à rire.

— Vous y réfléchirez, me dit-il.

Et il me quitta comme Louis-Philippe avait quitté les républicains, en chantant :

Il ne faut pas dire : « Fontaine… »

Je dois déclarer aussi qu’il y avait une chose qui me semblait étrange en un pareil moment : c’est que l’on pût songer à prendre une plume, à aligner des lettres sur le papier, à faire un livre, à composer un drame.

Zimmermann, de son côté aussi, était venu : il me demandait une cantate pour en faire la musique.

— Mon ami, lui dis-je, demandez cela à un homme qui ne se soit pas battu, à un homme qui n’ait rien vu, à un poëte qui ait une campagne, et qui, par hasard, soit resté à cette campagne pendant les trois jours, et il vous fera cela à merveille ! Mais, moi qui ai vu, moi qui ai agi, moi qui ai pris part à la chose, je ne ferais rien de bon, et resterais toujours au-dessous de ce que j’ai vu.

On alla trouver Casimir Delavigne, et Casimir Delavigne fit la Parisienne.

Mais, tout à coup, en face de la Parisienne, et comme pour faire sentir le vide de cette poésie impériale, surgit la Curée, torche secouée par un poëte inconnu.

Ce chef-d’œuvre, cette merveille, cet ïambe plein de poudre et de fumée, de fièvre et de soleil, où la Liberté passait d’un pied ferme, marchant à grands pas, l’œil ardent et le sein nu, était signé Auguste Barbier.

Nous poussâmes tous un cri de joie : c’était un grand poëte de plus parmi nous ; c’était un renfort qui nous arrivait, comme arrivent par une trappe, et au milieu des flammes,